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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


doute restera à ceux qui doutent ; de ce doute, un jour, naîtront des tempêtes.

Les frères de l’accusé, Mathieu et Léon, firent une démarche auprès de Sandherr, mulhousien comme eux. Des amis d’Alsace[1] les avaient introduits auprès de lui. Ils lui dirent leur conviction, celle de Demange, leur volonté de consacrer toute leur fortune à découvrir le vrai traître. Sandherr les écouta poliment, convint que « leur famille passait à Mulhouse pour avoir des sentiments très français », mais se retrancha derrière son ignorance de l’affaire, le secret professionnel. Si le capitaine Dreyfus a été arrêté, c’est que « de longues et sérieuses recherches » l’ont montré coupable. Il railla un peu leur idée de découvrir par eux-mêmes la vérité : « Pour faire vos recherches il faudrait que vous vous installiez au ministère, que le ministre et tous les officiers soient à votre disposition… Cela ne me paraît pas très pratique. »

Ils insinuèrent que leur frère était la victime d’un complot, « parce que juif, parce qu’on voulait le mettre hors de l’armée ». Le vieil antisémite protesta : « On n’a pas de pareilles idées dans l’armée ! » Et, quand ils le pressèrent sur le huis clos : « Cela ne me regarde pas ; c’est l’affaire du conseil de guerre[2]. »

  1. Un vieux commandant et Rodolphe Kœchlin.
  2. 13 décembre. — Je suis, mot pour mot, le récit de cette conversation, telle que Sandherr l’a notée lui-même, le jour même, 13 décembre 1894. (Cass., II, 280.) Mathieu Dreyfus fut accusé, en 1897, d’avoir voulu suborner le colonel Sandherr. Une enquête fut ouverte. C’est au cours de cette enquête que le juge d’instruction Bertulus, trouva cette note de Sandherr, qui détruisait l’imputation calomnieuse : « D. Que notre frère soit acquitté ou condamné, nous ferons tout pour le réhabiliter. Notre fortune est à votre disposition si vous pouvez nous y aider. — R. Comment dites-vous ? Je vous prie de faire attention. — D. (D’un air désolé.) Mais pardon, nous voulons dire