Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tard[1], Émile Ollivier expliqua sérieusement que le bordereau sur papier-pelure n’était qu’un décalque ; il avait fallu restituer à l’ambassadeur d’Allemagne l’original, annoté de la main même de l’Empereur Guillaume ; mais Mercier l’avait, au préalable, fait photographier et tirer à sept exemplaires[2].

Il est certain, en outre, que ni ces photographies, ni celles des lettres à l’Empereur ou de l’Empereur n’ont été communiquées, en chambre de conseil, aux juges de Dreyfus qui en auraient gardé le souvenir.

Tels sont les faits : qu’en peut-on conclure ?

Sûrement que ces pièces, lettres et bordereau annoté, ont existé, forgées, au grand atelier d’Henry, par l’un de ses faussaires habituels, Guénée, mort subitement à la veille du procès de Rennes, ou Lemercier-Picard,

    Dans une réunion publique, tenue le 15 février 1898 à Suresnes, Millevoye donna le texte de la phrase impériale : « Que cette canaille de Dreyfus envoie au plus tôt les pièces promises. Signé : Guillaume. » Le député socialiste Chauvin, qui était présent, en fit le récit à Jaurès. (Les Preuves, p. 278.) Le Temps ayant publié le compte rendu de la réunion de Suresnes, les assertions de Millevoye furent aussitôt démenties par la Gazette de l’Allemagne du Nord (18 février 1898).

  1. Récit fait par Ollivier, à Vittel, en 1899, à la veille du procès de Rennes. — Mercier, à Rennes, insiste, avec une intention marquée, sur ce que « Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne s’occupait personnellement des affaires d’espionnage » (I, 77).
  2. Cette version d’Ollivier fut reprise par Rochefort, dans l’Intransigeant du 25 décembre 1900. Selon Rochefort, « le bordereau, écrit sur papier fort par le félon, avait été envoyé à l’Empereur d’Allemagne lui-même qui le retourna, annoté, à Schwarzkoppen ». Le même récit fut fait à Mme Séverine qui le publia dans la Fronde du 20 décembre 1900 ; l’annotation impériale aurait été ainsi conçue : « Dire à cette canaille de Dreyfus d’expédier les documents le plus tôt possible. Signé : Wilhelm. » Selon l’informateur de Mme Séverine, le bordereau annoté aurait été montré, secrètement, par un ami de Mercier, aux juges de Rennes. Le capitaine Dreyfus demanda au président du Conseil, Waldeck-Rousseau, d’ordonner une enquête sur ces faux (26 décembre 1900).