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L’INSTRUCTION


geait de manière à faire souvent son service à des heures non réglementaires, soit en demandant l’autorisation des chefs, soit en ne la demandant pas » ; s’il « pénétrait, pour des motifs analogues, dans des bureaux autres que le sien » ; s’il questionnait ses camarades ; si, enfin, au quatrième bureau, « il s’était surtout attaché à l’étude des dossiers de mobilisation » et « s’il possédait », — crime manifeste pour un officier d’État-Major, — « tout le mystère de la concentration[1] » : c’est que « ce système de furetage était surtout basé sur la nécessité de se procurer le plus de renseignements possibles, oraux ou écrits, avant de terminer son stage », — et pour en trafiquer.

Le commandant Ducros poursuivait depuis longtemps, à l’atelier de Puteaux, d’importantes études d’artillerie. Parallèlement au colonel Deport, il étudiait un nouveau canon de campagne, un nouveau frein. À deux reprises, il engagea Dreyfus à l’y venir voir. Occasion incomparable pour un espion ! Dreyfus, par discrétion, n’accepta pas l’invitation[2]. Du Paty et D’Ormescheville se gardèrent de solliciter ce témoignage.

Si Dreyfus a été cet officier chercheur, fureteur, à la piste de renseignements secrets, pourquoi n’a-t-il pas éveillé les soupçons quand l’État-Major constata les premières fuites ? Nul alors ne l’a même suspecté. Il a fallu, pour cela, une ressemblance d’écriture ; et tout ce soupçon rétrospectif en découle.

  1. De même le général Fabre : « Il s’instruisait, il s’instruisait même trop. » (Rennes, I, 569.)
  2. Cass., I, 515, Rennes, III, 189, Ducros. — « Pour moi, dira Mercier, c’est un témoignage de plus de ce que j’affirme Dreyfus était au courant de tout, il savait parfaitement qu’à ce moment-là le canon Ducros venait d’être rejeté par moi. » (Rennes, I, 116.) — Comment l’aurait-il su ?