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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


gauche protesta contre ses digressions, les couvrit de murmures. La déclamation patriotique n’était pas encore entrée dans les habitudes de l’assemblée ; elle ne prenait pas encore des coups de clairon pour des raisons.

Ce fut bien pis quand Mercier aborda la vraie question, celle de l’incurie des bureaux, de l’attitude étrange du général Deloye. Il était seul en cause, il avança qu’on incriminait « la République elle-même et son gouvernement » ; cela parut excessif. « La République, dit-il, ne peut pas admettre que ses ministres entrent dans des négociations interlopes et véreuses ; » cela aussi parut exagéré, car il n’y a personne avec qui il ne soit possible de causer honnêtement. « Il n’est pas permis à un pays qui est dans la situation du nôtre, qui, du jour au lendemain, peut être appelé, sur plusieurs de ses frontières, à faire face à une agression, il n’est pas permis à ce pays de laisser déconsidérer ses généraux, ceux qui…, etc. ; » la Chambre n’était pas façonnée à applaudir, sous peine d’être taxée de défaillance, pareille rhétorique. Alors il chercha à diminuer le mérite professionnel de Turpin, contesta qu’il fût l’inventeur de la mélinite, mais s’embarrassa dans l’extraordinaire aveu que le ministère de la Guerre, après l’avoir décoré et largement payé pour cette découverte, « avait été disposé à admettre encore jusqu’à un certain point ses revendications ». Enfin, en ce qui concerne la nouvelle invention de Turpin, il est manifeste, a priori, qu’elle est indigne de tout examen sérieux : son expérience des choses de l’armée, « son flair d’artilleur », lui permettent de l’affirmer.

Il arrive parfois aux orateurs les plus maîtres de leur parole de sombrer dans une expression malheureuse ; le « cœur léger » d’Ollivier en est un illustre exemple.