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LA CAPITULATION DE MERCIER


Henry, classées par Sandherr. Ils connaissaient, l’un et l’autre, la dépêche de Panizzardi, la savaient sincère et exactement traduite. Donc l’antique lettre, au sujet de « ce canaille de D… », qui était à la solde des deux attachés, ne concernait pas Dreyfus, dont l’existence avait été révélée par son arrestation à l’attaché italien.

Il était bien tentant d’appliquer à Dreyfus l’initiale D…, d’y voir la signature du bordereau. Mais cette initiale même ne prouvait rien, les attachés militaires ayant l’habitude, par prudence, de démarquer, dans leurs correspondances, les noms de leurs agents.

Plus misérables encore les autres pièces du petit dossier, la lettre où l’un des attachés engage l’autre à se renseigner près d’un ami, l’indéchiffrable rébus de Schwarzkoppen.

Il n’y a pas une chance sur cent, sur mille, que l’une ou l’autre de ces pièces s’applique à Dreyfus. Cependant, si cette chance existe, d’arriver à la vérité ou de perdre un homme, à qui appartient-il d’en décider ? À la justice régulièrement saisie, au juge instructeur qui interrogera l’accusé, aux juges qui entendront sa défense.

La loi est formelle, impérative, l’article 101 du Code de justice militaire : « Le rapporteur fait représenter au prévenu toutes les pièces pouvant servir à conviction, et il l’interpelle pour qu’il ait à déclarer s’il les reconnaît. » Et l’équité a dit, avant la loi, que l’accusé connaisse les charges qui lui sont reprochées.

Seulement, si Dreyfus connaît ces pièces, versées au dossier, il réduira à néant la tentative de les lui appliquer.

Ainsi ce dilemme s’impose : ou renoncer à faire usage du nouveau dossier, ou le communiquer aux seuls juges, en violation de la loi, y joindre un com-


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