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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


nienne qui observe scrupuleusement le mot d’ordre donné ; ils sont les obligés des gros tenanciers de ces officines, qui sont, eux, hautement protégés par des hommes politiques et des juifs. » D’ailleurs, Dreyfus a su « dissimuler sa passion ». Mais des croupiers, « adroitement consultés », ont confirmé les premiers renseignements de Guénée à son sujet : « Ah ! oui ! le juif qui était si laid ! » Et « deux sergents », amenés prudemment à causer de lui, l’ont qualifié de « noceur et de joueur ». Enfin, Guénée sait que, le 10 novembre, le grand rabbin de Paris, dont il fait le gendre du grand rabbin « central » Zadoc Kahn, a engagé la belle-mère de l’accusé à convenir des vices de son gendre[1].

Henry a-t-il, tout simplement et de lui-même, détruit la note officielle favorable à Dreyfus ; ou, l’ayant montrée à Mercier, a-t-il fait établir par Guénée son second rapport pour jeter le soupçon sur les agents de la Préfecture ? Dans ce cas, la note du préfet de police a été supprimée par Mercier lui-même, incrédule au premier rapport Guénée, mais se laissant convaincre par le second, parce qu’il avait mûri dans le crime[2].

Henry avait fait demander à Guénée un rapport sur les femmes « qu’avait dû fréquenter Dreyfus[3] » ; Guénée ne fut pas embarrassé. Il apprit, « d’après les déclarations d’autres femmes qu’il ne peut nommer », les rencontres de Dreyfus, chez la femme « d’un juif anglais », avec un officier allemand « qui reprochait à l’espion de devenir trop exigeant, et le menaça de le perdre ».

  1. Cass., II, 292 et 293, rapport Guénée.
  2. La minute du rapport officiel avait été, comme toutes les minutes de ce genre, conservée à la préfecture de police. Le fait fut signalé aux chambres réunies de la Cour de cassation par Lépine lui-même (Audience du 24 avril 1899) et la minute authentique fut versée au dossier (Cass., II, 349).
  3. Cass., I, 720, Guénée.