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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Ce dossier, qui ne fut jamais porté au Conseil des ministres, il eût pu exiger qu’il le fût. En dépit des affirmations réitérées de Mercier, il y avait déjà assez d’éléments de doute et des signes trop manifestes de grands troubles pour que ces ministres de la République ne fussent pas curieux de savoir, par eux-mêmes, le fond des choses. C’était le devoir, surtout, du ministre des Affaires étrangères. Mais si le dossier avait été porté sur la table verte, Hanotaux eût quitté la salle, puisqu’en effet il jugeait « important de n’avoir pas à répondre aux questions parfois pressantes des diplomates étrangers ».

Il n’opposa donc aux affirmations réitérées de l’ambassadeur d’Allemagne que de vagues formules. L’affaire, dit-il, n’est point la sienne, elle est du ressort exclusif du ministre de la Guerre ; il l’ignore. D’autre part, si le procès a lieu, il promet qu’aucune ambassade étrangère ne sera mise en cause. La presse, sous le régime de la liberté, échappe à tout contrôle. Qui en est importuné plus que lui ?

Mais si l’homme est innocent ? Cette question non plus n’est pas de son ressort.

Il tint Casimir-Perier dans l’ignorance de ces déclarations de l’ambassadeur d’Allemagne[1], mais il en informa ses collègues. Plus d’un se dit alors qu’il y avait quelque chose de louche dans cette histoire. Nul n’osa serrer Mercier qui, les yeux mi-clos, d’apparence impassible, se contentait d’affirmer, une fois de plus, la culpabilité. Et ils laissaient faire[2].

  1. Rennes, I, 67, Casimir-Perier : « Je savais que le ministre des Affaires étrangères avait eu des entretiens avec l’ambassadeur d’Allemagne, mais, malgré une observation antérieure, il s’était abstenu de me les faire connaître. »
  2. Rennes, I, 221, Hanotaux : « On a dit que ces échanges de vues n’avaient pas été exposés à qui de droit. Ils ont été si par-