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LA « LIBRE PAROLE »

Drumont ne prend même pas la peine de voiler sous la rhétorique cet appel aux Maillotins, aux massacreurs : « Si quelque défaite se produisait, ce mot : les juifs ! ce sont les juifs ! reprendra la signification véridique et terrible qu’il avait pour les juifs d’autrefois. Il résume toutes les indignations et justifie tous les entraînements. Quelques innocents se trouveront peut-être confondus avec les coupables… »

En attendant, il faut exclure les juifs non seulement de l’armée, mais de la cité elle-même. « Que le tsar avait l’intelligence de la situation quand il les excluait en masse de son armée et de son empire[1] ! »

Et tout cela, avec cent lazzis, sur un ton de lyrisme goguenard : quelle aubaine que ce crime ! « Ce fait est assurément l’un des plus considérables de ce temps[2]. » La joie, une joie féroce, éclate et crève sous toutes les métaphores patriotiques des moines du Pèlerin et de la Croix, des journalistes de robe courte, des bas journalistes à qui tel juif a refusé (ou prêté) cinq louis.

Ainsi recommence la campagne contre les officiers juifs, interrompue par la mort du capitaine Mayer ; elle éclate, le même jour[3], dans vingt journaux, pour ne plus cesser. D’autant plus perfide que Drumont, Judet, le moine de la Croix plaident cette circonstance atténuante pour Dreyfus : la tare héréditaire, la malédiction qui pèse sur la race. « La conversion seule, et non

  1. Pèlerin du 10 novembre ; — Voir tous les journaux antisémites d’Algérie : « Est-ce que ces gens-là ont une patrie ? Que l’on en débarrasse la nation française au plus vite ! » (Républicain de Constantine, 10 novembre.) — En Russie, tous les juifs sont soldats.
  2. Pèlerin du 10.
  3. Croix du 3, Vérité du 3, Libre Parole et Intransigeant du 3, Petit Journal du 3, Pèlerin du 10, etc.