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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


provoqua Drumont et Lamase, se battit avec eux. Un autre, Mayer, Alsacien, de grandes espérances, fut tué par Morès. L’indignation fut générale. Drumont, ayant glissé dans le sang, arrêta les polémiques contre « les officiers juifs dans l’armée ».

Maintenant, du premier coup d’œil, le Jésuite a vu les lointaines conséquences du crime présumé de Dreyfus. Ce crime, s’il devient la vérité légale, abîmera, sous lui, toute la race maudite, la première que, partout où il veut régner, il cherche à exterminer. Ce sera ensuite le tour des autres hérétiques, protestants, libres penseurs. Alors, il aura remporté la plus grande de ses victoires. Du Sacré-Cœur, qui domine déjà Paris, il tiendra la France, devenue Espagne,

S’il se fait, par excellence, le vengeur de ce crime, sa cause devient celle du sabre. Le sabre se met à son service. S’il opère la transfusion de son sang, de ses haines, dans les veines du peuple, ce peuple est à lui.

Ce crime est un don du ciel. Il porte en lui l’avenir. Malheur à qui, — juge, témoin, ministre, passant, — refuse de proclamer le miracle !

VIII

Henry, d’un obscur mais sûr instinct, ne s’y est pas trompé : il a donné le nom de Dreyfus au journal des jésuites, à Drumont.

Leur premier intérêt, son intérêt unique se confondent : il faut que le juif soupçonné soit condamné, qu’il soit le traître.

Et, pour qu’il soit condamné par les juges, il faut qu’il le soit, d’abord, par le peuple.