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LA « LIBRE PAROLE »

seux des images d’Épinal, haineux, avide, écrivain incorrect, mais intarissable et puissant, il peinait, depuis des années, sans se faire jour, en d’obscures besognes[1], et traînait le souvenir d’une louche association de presse, dans les derniers temps de l’Empire, avec un mouchard[2]. En 1885, il se donna aux jésuites, comme jadis le fameux Pfefferkorn (Grain de poivre) aux Dominicains de Cologne, et ils le lancèrent en avant, faisant sa fortune, d’abord avec un livre, la France juive, dont le succès dépassa leur espérance, puis, avec un journal armé en corsaire, la Libre Parole[3].

La première campagne de Drumont dans son journal fut dirigée contre les officiers juifs[4]. Il y eut plusieurs collaborateurs, un joueur ruiné, bretteur émérite, le marquis de Morès, et un officier, demeuré inconnu, dont un nommé De Lamase signa les articles. Depuis quelque temps, les jésuites s’inquiétaient du nombre croissant des juifs qui, par l’École de Saint-Cyr et l’École polytechnique, entraient dans l’armée, faisaient concurrence à leurs élèves. La Libre Parole les dénonça, en bloc, comme les artisans des futures trahisons[5]. L’un d’eux, Crémieu-Foa, releva le gant,

  1. Au début de sa carrière, il avait été au service de banquiers juifs, les Péreire, et avait collaboré à l’un de leurs journaux, la Liberté. Il écrivit sur les Péreire une brochure dithyrambique.
  2. Marchal, dit Charles de Bussy, et Stamiroski, dit Stamir, tous deux à la solde de la préfecture de police, publièrent contre Rochefort, qui venait de lancer la Lanterne, d’ignobles calomnies. Rochefort roua de coups de canne l’imprimeur de leur journal, l’Inflexible.
  3. L’administrateur de la Libre Parole, Odelin, était également administrateur du collège de la rue des Postes.
  4. Mai 1892.
  5. 23 mai 1892.