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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Voilà Coriolan chez Dalila ; la sirène étrangère qui reçoit des espions, l’affole d’amour, exige de l’or, et lui en montre la source abondante et facile : la trahison.

C’était une petite bourgeoise, une dame Déry, Autrichienne, maîtresse « d’un ancien officier, riche industriel, intelligente et instruite, mais ni jeune ni jolie, ayant la charge d’un enfant[1] » ; elle recevait les amis de son amant, des officiers, le commandant Gendron. Dreyfus avait désigné Gendron à Du Paty comme fréquentant, lui aussi, chez la prétendue Dalila.

Mercier vit la précarité de ce réquisitoire. Malgré l’habileté de Du Paty à dénaturer les faits, — et qu’eussent-ils prouvé s’ils avaient été vrais ? quel ambitieux n’eût ressenti quelque amertume d’une déception imméritée ? quel officier n’a pas eu de maîtresse ? — c’était le néant. Rien qu’une expertise contestée, viciée par la fraude ! Quel tribunal condamnerait sur un pareil dossier ?

Si le silence, qu’il avait prescrit, avait été gardé, l’affaire encore eût pu être classée. Mais les indiscrétions continuaient, filtraient de toutes parts. Ce même jour, l’Éclair précisait que le coupable n’était pas un officier supérieur, que l’enquête venait d’être achevée ; la Patrie ajoutait que le traître était « un officier israélite, attaché au ministère de la Guerre », qui aurait tenté de vendre « à l’Italie des documents confidentiels ». Éclair et

  1. Rennes, II, 67, Gendron. Ce témoin ajoute : « Son intérieur n’était pas des plus sérieux ; ce n’était pas celui d’une courtisane complète ; ce n’était pas non plus celui d’une très honnête femme ; c’était en somme un milieu tout à fait équivoque. » Gendron aurait dit à son ami, l’ancien officier, l’amant de cette femme : « Elle doit trouver autre part que dans la galanterie l’argent nécessaire à son train de maison ; je ne serais pas surpris qu’elle soit une espionne. » Et l’ami aurait abandonné sa maîtresse, en faisant un sacrifice d’argent.