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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Cet exposé, de ton modéré, méthodique dans ses mensonges, qui n’était point destiné à devenir public[1], donne exactement la mesure où Mercier fut trompé.

Deux experts sur cinq se sont prononcés contre l’attribution du bordereau à Dreyfus ; Du Paty les dénonce comme suspects.

« Gobert a manifesté le désir de connaître le nom de la personne soupçonnée et demandé un laps de temps incompatible avec la conservation du secret… Pelletier n’a pas pris connaissance de certaines photographies importantes ; parmi les documents qui lui ont été remis se trouvent une lettre et divers documents écrits postérieurement à l’arrestation, et dans lesquels l’écriture est visiblement altérée[2]. »

Presque tous les faits sont dénaturés. « C’est sur le vu des conclusions de Bertillon que l’arrestation de Dreyfus fut décidée. » Elle l’était depuis la veille. Sur la scène de la dictée : « Dreyfus commença à écrire irrégulièrement… L’écriture continue à être irrégulière… Il répondit, avec une sorte de rictus nerveux, qu’il avait

  1. Il a été publié, pour la première fois, le 27 octobre 1898, dans le rapport du conseiller Bard à la Cour de cassation.
  2. Mercier dit à Rennes (I, 90) que « Pelletier eut une petite histoire qui le mit en défiance. Se trouvant appelé en même temps à deux réunions qui devaient avoir lieu, l’une pour des expertises et une autre pour je ne sais quelle affaire judiciaire, il écrivit à chacune des deux réunions qu’étant obligé de se rendre à l’autre, il ne pouvait pas se trouver à celle dans laquelle sa présence était indispensable à l’audience… De sorte, poursuit Mercier, que, quand il conclut contre l’identité de l’écriture du capitaine Dreyfus avec celle du bordereau, son témoignage nous parut un peu suspect. » Or, le malentendu, dont Pelletier s’est d’ailleurs justifié (Rennes, II, 471), eut lieu quinze jours après le dépôt de son rapport au cours de l’instruction D’Ormescheville, le 12 novembre 1894 (Cass., II, 65). Il semble difficile que cette histoire ait pu mettre en défiance, le 31 octobre, Mercier et Du Paty, pour un rapport qui avait été déposé le 26.