Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
199
LA « LIBRE PAROLE »


Pourquoi ce secret ? S’il relâche, faute de preuves, le prisonnier du Cherche-Midi, Drumont le dira vendu aux juifs. Qui prendra sa défense ? On s’indignera qu’un officier d’État-Major ait pu être arrêté sur d’aussi faibles soupçons. Ses collègues du ministère l’accableront de son impéritie. Quoi ! ce flair merveilleux d’artilleur le trompe donc toujours ! Mieux vaut être terrible que ridicule.

Pourtant, il hésite. Le péril est grand pour lui à prononcer la mise en liberté du prisonnier, mais non moins grave si le scandale d’une poursuite doit aboutir à un acquittement. Le condamné, alors, ce sera lui.

Il errait sur la lande, mais il n’y avait pas rencontré les sorcières.

IV

Le rapport de Du Paty[1] n’était pas pour le tirer d’embarras. Il chargeait Dreyfus, mais laissait au ministre le soin « de juger quelle suite il convenait de donner à l’affaire[2] ».

  1. Le rapport est daté du 31 octobre.
  2. Du Paty, devant la Cour de cassation, s’est targué de cette habileté comme d’un acte d’impartialité scrupuleuse : « Il importe de détruire les allégations qui me représentent comme ayant établi un autre rapport occulte, concluant à la culpabilité de Dreyfus. Il n’existe de moi qu’un seul rapport, celui qui a été lu ici, et si, dans ce rapport, je ne conclus pas à des poursuites contre Dreyfus, c’est que je ne m’y suis pas cru autorisé, ayant été entravé, dans mon enquête, par la raison d’État, ayant reçu défense d’entendre aucun témoin et n’ayant pas fait prêter serment aux experts en écriture (cette formalité ayant été remplie par M. le préfet de police). Pour toutes ces raisons, j’aurais jugé téméraire et irrégulier de poser des conclusions fermes ; mais, pour dissiper toute équivoque, je dois dire que j’étais, et que je suis, jusqu’à preuve du contraire, convaincu de la culpabilité de Dreyfus. » (Cass., I, 439.)