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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Henry, au contraire de Mercier, ne se flatte point qu’il s’en contentera. Ce soldat irréprochable, mais souillé par le soupçon, se mettra à l’œuvre, à travers tous les obstacles, pour chercher le traître, l’infâme, dont le crime a été la cause, pour lui, de cette catastrophe.

Le samedi 27, — c’était le surlendemain du jour où Pelletier avait déposé son rapport, Charavay n’avait pas encore rédigé le sien, — un nouvel incident se produisit, qui montra à Henry toute l’imminence du danger.

Forzinetti, dans la visite matinale qu’il avait faite à Dreyfus, l’avait trouvé dans un état alarmant. Mercier l’avait rendu personnellement responsable de Dreyfus ; il décida de dégager sa responsabilité. Il rendit compte au ministre par une lettre qu’il fit passer par le canal du gouverneur de Paris :

Cet officier est dans un état mental indescriptible. Depuis son dernier interrogatoire, subi jeudi, il a des évanouissements et des hallucinations fréquentes, il pleure et rit alternativement, ne cesse de dire qu’il sent son cerveau s’en aller. Il proteste toujours de son innocence, crie qu’il deviendra fou avant qu’elle soit reconnue. Il demande constamment sa femme et ses enfants. Il est à craindre qu’il ne se livre à un acte de désespoir, malgré toutes les précautions prises, ou que la folie ne survienne.

La lettre de Forzinetti était datée de 11 heures du matin. Il reçut immédiatement l’ordre de se rendre chez Boisdeffre, à 3 heures. Boisdeffre le mena au cabinet de Mercier. Le ministre était occupé ; ils s’assirent sur un canapé, dans l’antichambre. Boisdeffre lui demanda : « Forzinetti, vous qui connaissez les hommes, depuis si longtemps que vous êtes à la tête d’un établissement pénitentiaire, que pensez-vous de Dreyfus ? » Forzinetti répondit : « Mon général, si vous n’aviez pas demandé