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L’ENQUÊTE


avaient la même impression que « l’affaire ne marchait pas ». Se serait-on trompé ? Du Paty jugea qu’il était temps encore, pour lui, de se dégager sans trop de pertes. Il remit au ministre une note qui exposait nettement la situation, posant le dilemme : relâcher Dreyfus faute de preuves ; ou, malgré l’absence de preuves, continuer. Au ministre de décider.

Cette note a probablement disparu, mais elle a existé[1].

Ainsi, tout dépend de Mercier. Que décidera-t-il ? Évidemment, il ne se résignera à abandonner l’affaire qu’à la dernière extrémité. Il y est terriblement enfoncé. Dans le doute, il se contente encore d’ajourner, d’attendre. L’enquête, prolongée, finira peut-être par donner quelque chose. Cependant, une heure viendra où il faudra prendre un parti. Que sera-ce s’il se résout pour le non-lieu ?

Dreyfus libre, il n’y aura plus une heure de sécurité pour Henry.

Sans doute, et dès le début, il avait averti Esterhazy qui, prudent, ayant réalisé quelque argent, se tenait prêt à gagner la frontière. Mais la fuite ne sera le salut que pour Esterhazy. Il se trouvera bien quelqu’un pour établir un lien entre cette désertion éclatante et la mise en liberté de Dreyfus. L’ordonnance arabe de Sandherr, le turco Baschir, a vu Esterhazy, plus d’une fois, venir chez Henry, au bureau[2].

Même si Esterhazy tient le coup, le danger n’est qu’ajourné. Que fera Dreyfus, une fois rendu à la liberté ?

  1. Elle a été vue par Picquart,
  2. L’agent Lajoux raconte que Baschir, huissier du service des renseignements, l’avait introduit chez Henry un jour qu’Esterhazy était avec lui. (L’Espionnage franco-allemand, VIII.) Au mois de janvier 1897, peu après le départ de Picquart pour l’Afrique, Baschir fut trouvé mort dans son lit.