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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Chambre, quand il avait paru, rien que pour faire acte de présence, sentir l’air, l’accueil avait été froid, presque hostile. Quelque grisé qu’il fût du pouvoir, Mercier se rendait compte. Il entendait des craquements.

Jusqu’alors, l’affaire Dreyfus ne l’a pas autrement préoccupé. Quand le bordereau lui a été présenté, il a ordonné qu’on trouve le traître. Quand Dreyfus lui a été nommé, il a décrété que le traître, c’est ce juif. Les avis d’Hanotaux, les objections de Saussier n’avaient fait que l’ancrer dans son idée. Il était le maître ; il le ferait voir. Et l’événement, les perquisitions, l’enquête, confirmeraient son ukase. Il avait pris l’habitude de dire qu’il ne revenait jamais sur un ordre. Parmi les officiers généraux, qui connaissent la précarité des vies ministérielles, c’était un thème commun de plaisanteries.

Maintenant, il se trouve dans une impasse. Cette arrestation qu’il a voulue, qu’il a faite malgré Hanotaux et malgré Saussier, ne conduisait à rien. Ni aveux, ni preuve d’aucune sorte. Il se demandait si le plus simple, tout compte fait, ne serait pas de relâcher Dreyfus. L’homme, heureux d’en être quitte à bon compte, se tiendrait tranquille. Comme le ministre avait eu la sage précaution d’ordonner le silence sur l’incident, les choses, facilement, en resteraient là.

La même pensée était venue à Du Paty. Depuis quelque temps déjà, il ne cachait plus son découragement. Le soir, en rentrant du Cherche-Midi, visiblement « abattu », il disait à son chef, le colonel Boucher, et à Picquart, combien « la lutte avec Dreyfus était pénible[1] ». Le bourreau se lamentait. Boucher et Picquart

  1. Cass., I, 378 ; Rennes, I, 127, Picquart,