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L’ENQUÊTE

Pelletier jugeait « qu’expert consciencieux, il ne devait pas aller chez Bertillon, dont l’opinion était faite. Puisque deux personnes avaient été consultées, pourquoi cette invitation à se rendre chez l’une plutôt que chez l’autre[1] », chez Bertillon plutôt que chez Gobert ?

Pelletier déposa, le premier, son rapport[2]. Il était formellement négatif.

« L’écriture en cause n’était nullement déguisée. Le document incriminé a toutes les apparences d’une pièce écrite franchement et d’une écriture normale. Il représente le graphisme usuel de son auteur… Évidemment, l’on peut retrouver entre les pièces de comparaison et la lettre missive quelques analogies de détail, mais banales et telles qu’elles se pourraient rencontrer sous la main de beaucoup d’autres écrivains expérimentés[3]. »

En conséquence, il refusait d’attribuer le bordereau « à l’une ou à l’autre des personnes soupçonnées ».

Ce rapport consterna Du Paty et ses collaborateurs. Que Charavay se prononce dans le même sens, et toute l’accusation s’effondre !

On était sûr de Teyssonnières. Il suffit de lire son rapport pour y reconnaître l’influence dominante de Bertillon. « L’écriture du bordereau, affirme Teyssonnières, présente tous les caractères d’un déguisement, mais où le naturel reprend quand même le dessus. » Tel mot « est parfaitement mal écrit, mais c’est voulu ». Comme le graphisme du bordereau et celui des pièces de comparaison « donnent l’impression d’une même

  1. Rennes, II, 470, Pelletier.
  2. 25 octobre.
  3. Cass., III, 10.