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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


systématique est intentionnel, la lettre ɑ étant caractéristique entre toutes[1]. Donc, l’écriture sera conventionnelle, forgée.

Bertillon, par la suite, trouvera mieux. Mais il faut suivre pas à pas le progrès de cette folie scélérate. À cette date, c’est tout son argument.

Et, triomphant, il conclut ainsi son rapport « administratif », qu’il adresse au préfet de police, mais pour être communiqué au ministre de la Guerre[2] : « La preuve est faite, péremptoire. Vous savez quelle était mon opinion du premier jour. Elle est maintenant absolue, complète, sans réserve aucune[3]. »

En effet, la réserve du 13 octobre est devenue, le 20, l’argument décisif de Bertillon.

Un jour viendra où, dans la lutte exaspérée, ce monument d’extravagance et de folie sera célébré par l’État-Major comme un chef-d’œuvre de la science. Alors Mercier proclamera Bertillon grand homme et défiera Esterhazy de récrire le bordereau[4] ; alors quiconque

  1. « Les lettres initiales de la lettre anonyme ne se ressemblent pas entre elles aussi absolument qu’elles paraissent à première vue ; » — il n’y a pas une écriture au monde qui ne présente cette prétendue exception. — « les déliés initiaux manquent presque toujours, mais pour être transportés souvent à la fin des mots, adjonction qui est manifestement voulue et faite après coup ; » — il n’y a pas une écriture où les déliés ne soient pas tantôt initiaux, tantôt finaux. — « l’ɑ est étouffé, un tout petit pâté en remplissant l’intérieur et empêchant de déceler le tracé ; » or l’ɑ du bordereau n’est pas étouffé dans les mots suivants : « ɑprès les manœuvres », « à moins que », « ne vous en ɑdresse ».
  2. Tous les rapports des experts de 1894 sont adressés au préfet de police qui les communique au ministre de la Guerre.
  3. Il faut citer le post-scriptum de Bertillon : « Cette hypothèse de décalqueur cadre avec la fonction d’officier d’État-Major qui a fait un grand nombre de décalques de plans. »
  4. Rennes, I, 141, Mercier : « Si Esterhazy était venu déclarer qu’il est l’auteur du bordereau, j’aurais demandé qu’on le lui fît faire devant vous, pour bien vous montrer qu’il ne le pouvait pas. »