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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Toute la férocité séculaire des moines apparaît ici encore. Ce supplice de l’in pace, de l’écrasant isolement, où ce soldat est condamné avant toute condamnation, c’est celui qu’ils appliquaient à leurs prisonniers de choix, au Moyen Âge et jusqu’à la veille de la Révolution. C’est contre cette inhumanité que le bon Mabillon a écrit son traité de l’Emprisonnement monastique[1] ; les rois, les parlements, l’ont vingt fois interdite : « Sa Majesté et son Conseil estimant que c’est une chose barbare que de priver de toutes consolations de pauvres misérables accablés de chagrins et de douleurs[2]… » — « Quelques efforts, raconte Mabillon, que fissent les religieux mendiants pour faire révoquer l’ordonnance, on les contraignit à l’observer[3]. »

Dreyfus cherchait dans ces ténèbres.

Il avait fini, cependant, par s’arrêter à une explication. Un soir qu’il suppliait Du Paty de mettre fin à cette torture, Gribelin lui avait dit : « Supposez qu’on trouve votre montre dans une poche où elle ne devrait pas être[4]. » Du Paty avait acquiescé d’un geste ; il lui avait, d’ailleurs, parlé plus d’une fois de documents dérobés. Donc, il s’agissait de pièces ou de lettres, trouvées où elles n’auraient pas dû être, et dont la communication criminelle lui était imputée.

Certaine armoire du deuxième bureau n’était point pourvue d’un cadenas à secret : on y aurait pu voler des travaux confidentiels. Son propre tiroir, à l’État-Major, ne fermait qu’à clef ; on l’aurait pu fracturer. Plus sim-

  1. Œuvres posthumes (1724), II.
  2. Registres du Parlement de Languedoc, année 1350. Voir aussi l’arrêt de 1629, (Michelet, le Prêtre, la Femme et la Famille, préface, p. xv.)
  3. Mabillon, II, 323.
  4. Dreyfus relate cet incident au cours de l’instruction D’Ormescheville ; interrogatoire du 16 novembre 1894.