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L’ENQUÊTE


contre les meubles, inconscient des meurtrissures qu’il se faisait, et protestant, sanglotant toujours.

Aux heures des repas, il ne pouvait toucher à aucun aliment solide, buvait à peine quelques gorgées de bouillon ou de vin sucré.

Puis, terrassé par les souffrances, il tombait tout habillé sur le lit de camp, hurlant encore. Et quand le sommeil le prenait, le sommeil était aussi cruel que les hommes. C’était un hideux cauchemar, dans la nuit froide. Il avait de tels soubresauts qu’il tombait de son lit.

Ces journées atroces, ces nuits plus atroces encore interminables, qui les dira ? qui pourra seulement en imaginer la sombre épouvante ? Les mots manquent. Les innombrables stations de ce Calvaire ne seront jamais retracées.

Cela dura tout l’après-midi et toute la nuit du 15, puis toute la journée et toute la nuit du 16, puis tout le jour encore et toute la nuit du 17, et toute la journée encore du 18. Et c’était toujours les mêmes cris, les mêmes sanglots, la même tension du cerveau, broyant à vide, pour essayer de comprendre. Aucune nouvelle du dehors. Ni de sa femme, qui ne savait même pas où l’infortuné avait été emporté, ni des chefs qui, froidement, escomptaient le processus du supplice, les chances de la torture, l’action crucifiante du désespoir.

VII

Le 18, Mercier pensa que l’homme devait être à point. Du Paty reçut l’ordre de reprendre l’interrogatoire du prisonnier[1].

  1. Du Paty dit expressément : « La première fois que je fus autorisé à me rendre au Cherche-Midi pour continuer l’interrogatoire de Dreyfus… » (Rennes, III, 508.)