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L’ENQUÊTE


intérêts aux mines d’Anzin, autant de crimes. Les journalistes déterraient les libelles dont son grand-père avait été poursuivi, en étalaient les calomnies rajeunies. Rochefort, réfugié en Angleterre depuis le complot boulangiste, vieilli, alourdi, mais infatigable, criblait d’injures cette nouvelle cible. C’étaient les mêmes dont il poursuivait, depuis un quart de siècle, tous les hommes publics ; le nom propre seul changeait ; mais deux cent mille lecteurs continuaient à s’amuser de cette répétition éternelle des mêmes lazzis. Drumont, pris de frayeur au lendemain de l’élection de Casimir-Perier, craignant on ne sait quelle expiation, s’était enfui en Belgique. À l’abri, avec l’assurance des malfaiteurs qui ont franchi la frontière, il débouchait, tous les jours, de nouveaux cloaques.

Loin que ce voisinage ouvrît les yeux aux socialistes, il les excitait, comme dans une course où la vitesse de chaque champion s’accélère de celle de ses concurrents. Affolés ou de sang-froid, selon leur tempérament, ils rivalisaient avec ces pamphlétaires de grande route à qui éclabousserait de plus de boue le chef de l’État. Qui le blessera des traits les plus empoisonnés ? Qui le meurtrira le plus cruellement dans son culte filial ? Son père, son grand-père étaient « des usuriers, des voleurs » ; lui-même, « un bateleur en habit, un exploiteur d’ouvriers, l’empereur Écu ». « Au pilori, les Perier ![1] »

Millerand, de sens rassis, qui pesait ses mots, calculait son tir, intitulera un article sur Casimir-Perier : « l’Ennemi[2] ».

Jaurès lui-même descendit à cette besogne, indigne de son caractère et de son talent. Il y portera toute sa

  1. Petite République des 22 août, 1er  septembre, 8 novembre 1894, etc.
  2. Petite République du 8 novembre 1894.