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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Hanotaux, pour avoir déconseillé les poursuites, s’est convaincu qu’il a fait tout son devoir. Dupuy a d’autres soucis.

Pour Casimir-Perier, élevé depuis quatre mois au premier poste de l’État, il ne songeait déjà qu’à s’en évader comme d’une prison. Il n’avait accepté qu’en pleurant la Présidence de la République[1]. À ceux qui lui offraient, le 26 juin, la succession de Carnot, il répondait, se connaissant lui-même, qu’il n’était pas l’homme de cette magistrature impassible, mais un homme de lutte ; il fallait le laisser à des postes de combat ; il était une force de la République, cette force s’évanouirait à l’Élysée.

S’il finit par céder aux instances de sa mère et de Burdeau, c’est qu’ils lui dirent les périls de la fonction, Carnot mort assassiné, l’anarchie qui n’avait pas désarmé. Alors il eut peur de paraître avoir peur.

Tout de suite, il fut entouré d’un réseau d’hostilités. Il s’en impatienta à l’excès. Il n’aurait eu qu’à marcher sur ces ennemis déclarés ou masqués ; il n’osa. Les erreurs les plus graves de la politique proviennent de ces deux causes : se croire plus fort ou se croire plus faible qu’on ne l’est. Il se crut trop faible.

La presse violente lui faisait une guerre sans merci. Sa richesse, ses origines, ses relations de famille, ses

  1. À la suite des diverses réunions de groupes où la candidature de Casimir-Perier avait été posée, quelques députés s’étaient rendus au Palais-Bourbon pour vaincre ses résistances. C’étaient, notamment, Lannes de Montebello, Cochery, Delombre. Nous l’objurgâmes pendant une heure. Je le vois encore, devant son bureau, pâle, défait, les yeux tantôt brillants de fièvre, tantôt mouillés. Il respirait des sels pour ne pas défaillir. C’est un de mes regrets politiques de n’avoir pas compris qu’il avait raison contre notre affection et notre confiance. Obstiné comme le sont les Perier, il voulut, par la suite, avoir raison contre son parti qui l’avait violenté.