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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


démontrer l’innocence de son cadet, orgueil et joie des siens. Or, le crime n’était point encore assez fortifié pour l’exposer à un pareil assaut. Donc, la condition essentielle du succès, c’est de gagner du temps. De là, ce piège tendu à l’amour conjugal d’une femme de vingt-cinq ans.

Cette ruse ne fut pas improvisée par Du Paty ; elle avait été décidée, la veille, dans le conseil tenu chez Mercier, auquel assistait Boisdeffre.

Lucie Dreyfus était redevenue maîtresse d’elle-même. Femme d’un soldat, elle sera digne de lui. Elle dit hautement sa foi, son mari victime d’une détestable erreur, innocent de toute faute. Du Paty procéda à la perquisition ; elle l’accompagna, sans une hésitation, d’une hautaine confiance[1].

Du Paty ouvrit les meubles, tous les tiroirs, s’empara des moindres papiers que Cochefert plaçait aussitôt sous scellés. « Les perquisitions ne donnèrent aucun résultat. » Il le dit lui-même à Mme Dreyfus : « Nous n’avons rien trouvé. » Il s’était fait remettre les comptes du capitaine, ses livres. Tout y était d’une régularité parfaite. Pas un trou. Des dépenses normales, modérées, sa fortune placée presque tout entière dans la fabrique de Mulhouse ; quatre cent mille francs comptant, à sa disposition[2].

La déconvenue était complète.

Quel récit Du Paty a-t-il fait à Mercier de ces diverses

  1. « Je procédai à la perquisition ; Mme Dreyfus m’accompagna en faisant preuve d’un caractère et d’un sang-froid incroyables. » (Du Paty, Rapport.)
  2. Cochefert semble indiquer (Rennes, I, 585) qu’il fit, ce même jour, une perquisition, avec Du Paty, chez M. Hadamard, père de Mme Dreyfus. C’est seulement le lendemain que Cochefert, Du Paty et Gribelin se rendirent chez Hadamard, avec Mme Hadamard et Mme Dreyfus qui avaient assisté, au ministère de la