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L’ARRESTATION

« Vous êtes inculpé de haute trahison ; qu’avez-vous à dire, demande Du Paty, pour votre justification ? »

Se justifier ? De quoi ? Dès lors, comment ?

À l’ironie d’une telle question, Dreyfus ne peut répondre que par une nouvelle attestation de son innocence. « Sur ce qu’il a de plus sacré au monde, » il jure qu’il n’a jamais eu aucune relation avec des agents étrangers ; il ne leur a jamais écrit ; jamais il n’a enlevé un document des bureaux de l’État-Major.

Encore une fois, il prie qu’on lui dise de quoi on l’accuse.

Du Paty se tait toujours. Il ne pouvait pas, allègue-t-il, montrer à Dreyfus l’original du bordereau, « qui était entre les mains de Gonse », ni une photographie, parce qu’on n’avait pas eu le temps d’en tirer, « en faisant disparaître sur l’épreuve toutes traces de déchirures et de recollage »[1].

Cette décision aurait été prise « sur l’avis du colonel Sandherr qui voulait éviter de donner au capitaine Dreyfus aucun indice sur la façon dont le bordereau était parvenu au ministère ».

Le bordereau était chez Gonse ? Il était simple de le lui emprunter pour une heure. Depuis dix jours, les photographies de la pièce, faites par ordre de Sandherr, distribuées par Renouard aux chefs de service, circulaient dans les bureaux.

Ces épreuves portaient des traces de déchirures et de recollage ; ces traces auraient pu renseigner Dreyfus sur la façon dont l’État-Major était entré en possession du bordereau ?

Comment l’auraient-elles pu renseigner ?

Si, par miracle, rien qu’à voir ce morceau de papier,

  1. Rennes, III, 508, Du Paty.