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L’ARRESTATION

Cochefert et son secrétaire se sont élancés sur Dreyfus pour le fouiller. Il se laisse faire sans résistance : « Prenez mes clefs, ouvrez tout chez moi, je suis innocent ! »

Cela encore est éloquent ; et ceci ne l’est pas moins : Du Paty, « à deux reprises, simule une sortie, sous prétexte de faire porter à l’agent étranger, à qui avait été adressé le document incriminé, la lettre que Dreyfus venait d’écrire[1] ». Chaque fois, au moment où Du Paty ouvrait la porte, Dreyfus l’arrête. Et rien de plus naturel que ces hésitations du malheureux qui croit pouvoir encore arrêter l’irrévocable. Pourtant, elles se pourraient interpréter contre lui : que craint-il donc, s’il est innocent ? Du Paty simule une troisième sortie. « Eh bien, essayez ! » lui crie Dreyfus. Du Paty revient sur ses pas.

Dreyfus éclate de nouveau en protestations, clamant qu’il n’a jamais eu aucun rapport avec aucun agent étranger, qu’il est riche, qu’il a une femme et des enfants, qu’il est insensé de lui imputer, à lui, officier irréprochable, amoureux de son métier, à lui. Alsacien, le plus affreux des crimes ; une fraude scélérate, une épouvantable erreur se cache sous ce mystère. Mais comme il n’y a rien en lui d’un artiste, comme il devait chercher déjà, soldat dans les moelles, à garder l’attitude militaire en roulant dans l’abîme, il criait mal, sans doute, d’une voix étranglée, avec des gestes gauches. « Attitude un peu théâtrale, expose Du Paty ; je laissai passer ce flot qui pouvait être chose préparée pour le cas d’une arrestation. » Et Gribelin, Cochefert, hypnotisés par l’idée préconçue, ne voient et n’entendent qu’à travers elle. Il semble à l’un « qu’il pro-

  1. Rapport de 1894.