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L’ARRESTATION

Il y aurait une manière scientifique d’y procéder : dicter brutalement à Dreyfus le texte du bordereau. Alors, s’il est le traître, quand il se trouvera soudain en face de son crime, il doit s’effondrer ; pour maître qu’il soit de ses nerfs, la plume échappe de sa main, et la foudre est sur lui[1]. Mais cette procédure eût été trop simple. Ce n’est donc pas le bordereau que Du Paty va dicter à Dreyfus, mais une prétendue lettre de service où s’en trouveront les mots principaux. Les mentions techniques de cette pièce appartiennent au langage habituel des officiers : suffiront-elles à provoquer chez le coupable une angoisse assez marquée pour être probante ? C’est décupler à plaisir la difficulté de reconnaître, dans la physionomie de l’homme, le signe d’une émotion secrète. Le mérite en sera plus grand d’y découvrir quelque nuance incertaine ou, dans l’écriture, à la loupe, une trace douteuse d’irrégularité !

Pourtant, même cette épreuve énervée pourrait être loyale : il suffirait de la faire sans chercher à troubler, par un ton et par un appareil insolites, celui qui va la subir ; — non pas même, selon la volonté de la loi, sans idée préconçue, sans croire coupable l’accusé, mais seulement sans vouloir qu’il le soit.

II

Le lundi 15 octobre, à 9 heures du matin, Dreyfus se présenta au ministère de la Guerre. Il avait été un peu surpris de cette convocation inusitée. Ce planton, l’avant-veille, a singulièrement insisté pour lui en faire signer le reçu ; pourquoi cette heure matinale quand

  1. Jaurès, Les Preuves, p. 272.