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LE BORDEREAU


recevoir. Hanotaux avait été « préoccupé toute la journée » du récit qui lui avait été fait, dans la matinée, au « petit conseil ». Il voulait tenter un nouvel effort auprès de son collègue[1].

Mercier répondit à Hanotaux « qu’il partait le lendemain pour les manœuvres, que cependant il le recevrait, après dîner ».

Devant le fait accompli, et plus tard, quand le crime judiciaire est devenu apparent, Hanotaux s’y est résigné. Mais, ce soir-là, il n’épargna aucun argument pour convaincre Mercier, sauf celui de jeter dans la balance son portefeuille de ministre.

Hanotaux, dans une conversation « qui dura plus d’une heure », exposa que l’idée, non seulement d’une poursuite, mais même d’une enquête, « ayant pour base le bordereau », devait être abandonnée, « Cette procédure devait nous entraîner vers les plus graves difficultés internationales. » Il s’inquiétait de la façon dont ce document avait été pris à une ambassade étrangère, « dans des papiers détournés à cette ambassade », lui avait dit Mercier.

Le ministre de la Guerre resta « inébranlable ». Il avoua que le général Saussier, gouverneur de Paris et généralissime, avait été consulté et qu’il était, lui aussi, contraire aux poursuites, « alléguant que tout était préférable au déshonneur jeté sur un officier français et aux soupçons qui en rejailliraient sur tous les officiers ». Mais Mercier ne croyait devoir se rendre ni aux prières du ministre des Affaires étrangères, ni aux conseils du généralissime.

L’officier soupçonné était-il vraiment le traître ? Mercier affirma « qu’il avait des présomptions assez fortes »

  1. Cass., I, 642, et Rennes, I, 220, Hanotaux.