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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


la première fois depuis ma défaite électorale, dans mon ancienne circonscription, la section dignoise de la Ligue des Droits de l’Homme m’offrit un banquet[1]. La part que j’avais prise à l’Affaire m’avait coûté mon siège ; maintenant, beaucoup de ceux qui avaient voté contre moi le regrettaient ; plusieurs d’entre eux assistaient à la réunion. Cependant, la politique commandait si évidemment de ne pas remuer les passions assoupies que je ne prononçai pas le discours qui était attendu par mes amis. Je m’exprimai en ces termes :


Vous vous seriez trompés si, venant ici, vous avez cru que je vous ferai un discours sur l’Affaire. Ce discours, du moins ce soir, je ne le ferai pas. Non point, certes, que notre œuvre soit terminée ; elle ne peut l’être que par la victoire complète du Droit. À cette heure, nous sommes exactement à l’entr’acte qui, dans les bons mélodrames, sépare le quatrième acte du cinquième où l’innocence est vengée et le crime puni. Et il faut, il est nécessaire surtout à l’honneur historique de la France, que le verdict de Rennes, nul déjà par l’invraisemblable admission des circonstances atténuantes, déchiré ensuite par le décret de grâce, il faut qu’il soit anéanti entièrement par un arrêt suprême. Il le faut, je ne me lasserai pas de le redire, non pas tant pour Dreyfus lui-même que pour cette grande personne morale, « la plus grande qui soit au monde », la France, qui ne saurait rester débitrice envers un homme, fût-il juif, de son honneur injustement ravi. Cette dette est sacrée ; je jure que nous l’acquitterons.

Mais, Messieurs, si nous repoussons et si nous continuons à repousser de toutes nos forces l’amnistie, qui serait l’étranglement de la justice et l’étouffement de la vérité, nous avons nous-mêmes offert l’armistice pour toute la durée de cette grande fête du travail et de la paix qu’est

  1. 24 avril 1900.