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L’AMNISTIE


militaires, il faut que Dreyfus en reste l’auteur. L’innocence juridique du traître demeure entière. — Par contre, son principal métier, celui de « maître chanteur », va tomber à rien.

On n’a pas oublié sa dernière opération : en juillet, il annonce qu’il part pour Rennes ; en août, tout à coup, il décide de rester à Londres ; puis, tout le temps du procès, il écrit à Carrière et à Roget qu’il va produire des documents et n’en produit aucun[1]. — Maintenant, il aperçoit dans le projet d’amnistie une suprême occasion de tirer de son sac une dernière mouture. Parce que, seule, la découverte de quelque crime encore ignoré peut faire échouer l’amnistie, obliger le Gouvernement à laisser la justice suivre son cours, il se flatte de faire craindre à la fois à Waldeck-Rousseau et à Boisdeffre (ou à Gonse) que la révélation viendra de lui. Il écrit donc à Waldeck-Rousseau que, malgré son désir « de ne pas fournir des aliments nouveaux à des polémiques désastreuses », il va se trouver dans la nécessité de porter de terribles accusations contre ses anciens chefs[2] ; et il avise ceux-ci qu’il est entré en négociations avec le gouvernement pour lui livrer ses fameux papiers. Des deux côtés, pense-t-il, on lui payera son silence.

Le plan n’était pas inférieur à d’autres qui avaient réussi ; seulement les temps étaient changés.

Sauf qu’il continua des relations actives avec les gens de la Libre Parole, nous ne savons rien de son opération du côté de ses anciens protecteurs ; nous avons, par contre, ses lettres à Waldeck-Rousseau, deux ou trois par semaine durant trois mois, d’une fureur mono-

  1. Voir t. V, 27 et suivantes.
  2. Lettre du 10 novembre 1899.