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L’AMNISTIE


nèrent à penser à quelques républicains. L’« éponge », soit, mais pas si vite, sur des crimes encore si frais ! À la commission sénatoriale, le vieux Clamageran, républicain de la grande époque et de la bonne école, était résolument opposé au projet. Il commença par demander des explications sur l’anéantissement de l’action civile. Il ne contesta pas que l’extinction des actions publiques fût la conséquence nécessaire de l’amnistie, mais jugeait exorbitant que l’action civile fût interdite aux plaignants, à la veuve d’Henry[1] comme à Picquart et aux juges d’Esterhazy. Le droit d’abolition, privilège exclusif du roi, a disparu avec la Monarchie. La République peut-elle le faire revivre ? Clemenceau, traduisant la pensée de Clamageran, écrivit fortement : « La Révolution aurait-elle eu tout simplement pour effet de déplacer la source d’iniquité, de la faire descendre des hauteurs du trône dans le marais populaire[2] ? »

Comme il y avait vraiment difficulté à proposer au Sénat, qui siégeait, en tant que Haute-Cour, en permanence, « de prononcer des condamnations politiques le jeudi et d’amnistier, le vendredi, des crimes de droit

  1. Mme Henry écrivit, le 18 décembre 1899, à Waldeck-Rousseau : « Mon droit est violé et sous les plus scandaleux prétextes. Le tribunal, il y a quelques jours, acceptait de juger un procès intenté par Me Labori à un journal, sans s’arrêter aux raisons de connexité et d’amnistie qu’on m’oppose. La connexité et l’amnistie ne sont donc bonnes que contre moi. Je m’adresse donc à vous, non pour vous demander une grâce, mais pour vous demander des juges. » — J’avais écrit dans le Siècle, dès le 25 octobre : « De quel droit le législateur viendra-t-il dire au général de Luxer et à ses six camarades : « Vous ne revendiquerez pas votre honneur ! » De quel droit fermera-t-il la bouche aux instigateurs du procès Henry ? » Et encore le 13 novembre et le 11 décembre.
  2. Aurore du 20 novembre 1899.