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APPENDICE


plus loin dans notre conversation sur l’affaire Dreyfus, à Karlsruhe, que la prudence l’eût permetté. C’est vrai, j’étais loin de préméditer que cette conversation amènerait des conséquences ; néanmoins, je ne vous ai point demandé le silence et je n’ai aucun droit à vous reprocher d’indiscrétion.

J’ignore si j’aurai des ennuis, nos journaux ne s’occupent plus que d’une façon superficielle de l’Affaire, le mien ne la mentionne même. Mais j’ai raison de regretter, en lisant votre récit de la conversation de Karlsruhe, qu’il ne m’a pas été possible de le corriger avant votre déposition devant la Cour de cassation. Sans doute, ma défectuosité dans la conversation française a été la cause d’erreurs de votre part. C’est tout à fait impossible que j’eusse parlé d’une complicité de Lajoux ; au contraire, j’ai dit, comme tous les journaux l’ont rapporté, que Lajoux ait déposé devant la Cour de Rennes en faveur de Dreyfus et qu’il ait été maltraité par l’État-Major, malgré les grands services rendus à celui-même. Tout ce que je vous disais n’était nullement un secret pour ceux qui avaient suivi avec attention le procès de Rennes et les traités de la Cour de cassation qui amenèrent le second Conseil de Guerre. Si j’ai parlé de complices — je ne m’en souviens plus — ç’a été à un tout autre que je visai. Je devais être persuadé que personne en France n’ignorât les vrais coupables qui, à cette époque, étaient depuis longtemps à l’abri de toute persécution criminale, gardés, l’un par la loi, qui ne permet pas de poursuivre une acquitté, l’autre par la mort.

Très correctement vous avez reproduit mes paroles sur Dreyfus, ce qui est, à mon avis, la chose capitale. Mes mots ne contenaient en outre rien de nouveau, ni pour le Gouvernement, ni pour les juges français ; l’Ambassadeur allemand et le Chancelier de l’Empire, l’ont prononcé, l’un à Paris, au commencement de l’Affaire, l’autre au Reichstag, avant ou durant le procès de Rennes. Mais cette triste affaire Dreyfus passait trop longtemps pour une affaire politique et non de justice.