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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


donnait tout son rang légitime d’ancienneté à Picquart, l’autre qui ne conférait le grade supérieur à Dreyfus qu’à compter de la promulgation de la loi.

Messimy rédigea aussitôt ses rapports, en donna lecture à la séance de l’après-midi. Ils étaient sobres, précis, disaient vivement ce qu’il fallait dire[1]. La Chambre déclara l’urgence et la discussion immédiate.

Sur le projet relatif à Dreyfus, personne ne demande

  1. « Le capitaine Alfred Dreyfus est reconnu innocent du crime qui lui était imputé et qu’il a payé du sacrifice de son honneur, de la perte de son grade, d’une détention cruelle aggravée de mesures de rigueur particulières, enfin, de longues années d’incertitude et de doute. Désormais, et l’aveu en éclate dans le camp même de ceux qui luttèrent dix années durant pour que la lumière et la clarté ne soient pas faites, il faudra être obstinément et volontairement aveugle pour pouvoir élever la moindre restriction ou le plus petit doute, et pour ne pas se rendre à l’évidence de la vérité… Le gouvernement a justement pensé que les premières réparations nécessaires devaient s’appliquer au capitaine Dreyfus et au lieutenant-colonel Picquart. Il propose de nommer Dreyfus chef d’escadron. Cette mesure est équitable et juste, et ne représente même qu’une réparation très modeste, si on la met en balance avec les atroces souffrances matérielles et plus encore morales que le capitaine Dreyfus a courageusement supportées. » — Sur Picquart : « La proclamation de l’innocence de Dreyfus démontre la légitimité des efforts que le lieutenant-colonel Picquart tentait courageusement, dès 1896, pour faire réformer le jugement du conseil de guerre de 1894. Le lieutenant-colonel Picquart fut cruellement et durement frappé pour avoir mis sa passion et son culte de la justice au-dessus des obligations d’une camaraderie étroite et mal entendue… La grandeur de ses sentiments, la noblesse et la dignité de tous ses actes peuvent consoler tous les vrais amis de l’armée des sottises, des inanités et des vilenies dont sont responsables quelques officiers dont il faut se garder d’exagérer le chiffre, mais qui furent néanmoins, hélas ! beaucoup trop nombreux… La promotion du lieutenant-colonel Picquart au grade de général de brigade, au lendemain de l’arrêt de la Cour suprême, constitue pour ce pays qui vient, malgré toutes les difficultés et tous les obstacles, d’accomplir vis-à-vis de lui-même un magnifique effort de sincérité et d’équité, la légitime revanche du droit. »