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LA REVISION


mier sur la brèche ou à l’attaque, le bénéficiaire unique de son crime, siégeant au Sénat alors que tous ceux qu’il avait entraînés à sa suite, des plus puissants aux plus humbles, militaires ou civils, expiaient leur confiance en lui et leur dévouement dans la disgrâce, la pauvreté ou la honte. Il était l’homme qui avait voulu le procès malgré les supplications d’Hanotaux et de Saussier, qui, de ses propres mains, avait fait le dossier secret, qui avait juré, au procès de Zola, que Dreyfus avait été justement et légalement condamné, qui avait dit aux juges de Rennes : « Ou Dreyfus ou moi », et qui, hier encore, à la veille de la nouvelle enquête, avait pris l’engagement public d’y produire les preuves écrasantes du crime. C’était à un banquet de la Patrie Française. Il y avait là Rochefort, Drumont, Cavaignac, Lemaître, Syveton. Il s’était levé, impassible et impérieux à son ordinaire : « Lorsque le moment sera venu de parler, les paroles qui doivent être dites, je les dirai ; j’en prends l’engagement[1]. » Et il n’avait rien dit, s’était abrité derrière Bertillon[2]. Or, Baudouin n’avait marqué aucun des fauteurs de l’Affaire d’une flétrissure plus dure ; par deux fois il lui avait dit que, sans l’amnistie, sa place serait au bagne[3]. Mercier se taisait toujours. Il y avait parmi les nationalistes et les catholiques des gens qui savaient pourquoi il se taisait : parce qu’ils savaient autant que lui que Dreyfus était innocent. Mais il y en avait beaucoup plus qui s’en étonnaient, s’en désespéraient comme d’une suprême douleur patriotique, parce qu’ils avaient cru aveuglément, obstiné-

  1. 3 décembre 1903.
  2. Voir p. 314.
  3. Revision, I, 451, Baudouin : « Au premier crime (la communication des pièces secrètes), il en a joint un second (la destruction du commentaire)… » Travaux forcés ou réclusion.