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LA REVISION


mais à Sandherr[1]. D’où cette conclusion commune, malgré leur désaccord sur le rôle d’Esterhazy (complice, selon Baudouin, d’une machination antisémite, agent de contre-espionnage, selon Mornard), que toute l’Affaire n’a été « qu’une immense mystification » ; c’était le mot de Dupuy à l’enquête de 1899[2]. — La trahison a été fictive, que le bordereau ait été ou non accompagné des documents qu’il annonçait ; en fait, en droit, ni crime ni délit.

C’était l’un des dangers de l’étude, la captivante, la passionnante étude de l’Affaire. Parce qu’elle était

  1. Mémoire, 651 et suiv. — Voir p. 351 et t. I, 45. — Ce qui rend inadmissible l’hypothèse de Mornard, c’est d’abord que le bordereau a été remis à Henry, non pas à Sandherr, comme on me l’avait raconté à tort en 1898 (voir t. IV, 433). — Mornard s’appuie sur le témoignage de Matton qui dit, en effet, que Sandherr lui a montré le bordereau ; mais de ce que Sandherr a montré le bordereau à Matton, il ne résulte nullement que Sandherr ait reçu le bordereau des mains de l’agent, quel qu’il soit ; Henry venait de le lui remettre après l’avoir fait voir à Lauth et à Gribelin. Matton, selon Lauth, aurait été présent « à l’exhibition » qu’Henry leur fit du bordereau. Il est vraisemblable que le souvenir de Lauth, sur ce point comme sur tant d’autres, est inexact ; Matton, quoiqu’il en soit, n’a pas été questionné à cet égard, et, comme il ne parle point, dans sa déposition, de la scène dans le cabinet d’Henry, on peut en conclure qu’il n’y a pas assisté. — En second lieu, si Esterhazy avait été un contre-espion, Sandherr l’aurait su. À supposer qu’Henry eût employé Esterhazy au contre-espionnage, sans en avertir Sandherr, il n’avait qu’à s’en confesser, après l’arrivée du bordereau et il le pouvait sans courir de grands risques. Tout le rôle d’Henry, dans l’hypothèse de Mornard, reste inexplicable, ou le devient plus encore, et, bien plus, celui d’Esterhazy lui-même le devient. S’il a été un contre-espion, comment expliquer son affolement, en 1896, quand Picquart est à ses trousses et que le Matin publie le fac-similé du bordereau ? sa visite désespérée chez Schwarzkoppen en 1897 ? ses lettres de menaces à Félix Faure ? sa fuite en 1898 ? etc. Ces dernières objections s’appliquent, avec plus de force encore, à l’hypothèse de Baudouin. (Voir p. 446).
  2. Voir t. IV, 452 et Cass., I, 450.