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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


miques, juridiques, financières ; « pourvu qu’il ait chaque matin sa charretée de moines et de nonnes[1] », tout est bien ; il a fermé ainsi les yeux sur la désorganisation de la marine, livrée à Pelletan, « qui devient un péril national[2] », et sur l’imprudente politique de Delcassé, qui ne parle de rien moins que « d’isoler l’Allemagne » ; il a laissé passer le gouvernement aux groupes, à l’irresponsable délégation des gauches, à l’intolérable dictature oratoire de Jaurès ; il traite en suspect, fait traquer en ennemi par ses préfets, fait surveiller, jusque dans les couloirs de la Chambre, cherche même à déshonorer quiconque n’abdique pas devant lui sa liberté de penser, de parler et d’écrire.

C’étaient là, bien plus que les nationalistes ou les catholiques, les ennemis à craindre. Ceux qui avaient été ministres voulaient le redevenir ; ceux qui ne l’avaient pas été voulaient l’être. On pouvait contester leur politique ; leur reprocher d’être prêts à l’appliquer au pouvoir était injuste. La Droite et le Centre votaient pour eux. Les amis de Combes les appelaient les « dissidents », c’est-à-dire schismatiques.

Leygues, puis Ribot et Millerand, donnèrent l’assaut, ramenèrent, d’un vigoureux effort, la Chambre à la question précise qui s’effaçait, disparaissait sous l’accumulation des sophismes et des arguties politiques : les notes secrètes, les dossiers secrets, la délation.

Éloquence vibrante et lyrique de Leygues, ample et hautaine discussion de Ribot, puissante et drue logique de Millerand, mais mêmes arguments, mêmes évocations historiques (le billet de confession de la Res-

  1. Clemenceau.
  2. Discours de Doumer à la Chambre, séance du 30 mars 1904.