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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


valoir sa marchandise, avait réclamé une première fois 30.000, une seconde fois 60.000 francs, et encore à titre d’acompte[1], ce qui ne justifiait pas le paiement d’une somme de 25.000 francs pour des documents qui valaient, selon Mareschal lui-même, dix ou vingt fois moins, mais ce qui rendait cependant plausible la deuxième version des officiers. D’autre part, il devenait plus inexplicable encore qu’ils eussent d’abord affirmé avoir donné seulement 5.000 francs et que cette exigence de 60.000 francs fût sortie alors, comme tout le reste, de leur mémoire. De quelque côté que Cassel se tournât, il se heurtait à des contradictions, des invraisemblances, des impossibilités apparentes ou réelles. Il ne savait comment sortir de ce cul-de-sac.

Il y avait pourtant un moyen, très simple, celui qui est toujours le plus simple, bien qu’il paraisse toujours le plus difficile, parce que l’homme hait naturellement la vérité : convenir de la vérité, à savoir « qu’il n’y avait point présomption suffisante » que des sommes eussent été détournées, et conclure en conséquence au non-

    pondance d’Austerlitz et c’est ainsi qu’il a déclaré, en effet, qu’il ne l’avait jamais vu. La confusion manifeste que Me Auffray commet entre les documents appréciés par le commandant Targe devant la Cour de cassation et le dossier de la correspondance d’Austerlitz produit à l’audience du conseil de guerre, permet de juger l’injustice du reproche formulé dans la brochure en question. » (Lettre du ministre de la Guerre, du 25 mars 1906, au Procureur général Baudouin.)

  1. Le chiffre de 60.000 francs donna lieu à de longues et fastidieuses discussions. Mareschal et ses co-inculpés lisaient ce chiffre sur deux lettres d’Austerlitz antérieures à l’entrevue de Zurich et relatives à la fourniture que l’Allemand promettait d’y apporter. (Voir t. V, 464.) Cassel, lui aussi, avait commencé par lire 60.000 ; mais le traducteur juré, le commandant Pierra, professeur d’allemand à l’École de guerre, lisait 10.000, et Cassel se laissa convaincre. (Procès Dautriche, 473, Pierra.) Or, Austerlitz avait bien écrit 60.000, comme Pierra finit par le reconnaître, mais seulement à l’audience.