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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


lui rapportant ses conversations avec les grands chefs, Saussier, Warnet, Lewal ; et, certainement, l’autre en avait fait usage[1]. Il n’était point le complice d’un traître, mais, prisonnier de son passé, ne s’étant pas lavé des accusations portées contre lui pour ses mésaventures sur les champs de courses, n’ayant répondu aux diffamations de Morès et de Drumont que par le silence, alors qu’il n’était plus de ceux qui peuvent « regarder et passer », il avait traversé l’Affaire à la façon d’un malheureux qui se sait traqué et rase les murs, et l’atmosphère de méfiance s’était épaissie autour de lui.

C’est ce que j’avais dit, au cours de ma déposition devant la Chambre criminelle, quelques jours auparavant[2], sur une question de Mornard. Weil avait demandé, peu après la dénonciation d’Esterhazy par Mathieu Dreyfus, à s’entretenir avec moi ; l’ayant écouté devant témoins, je l’avais invité à porter à la justice tout ce qu’il savait et il n’en avait rien fait. Il vint me trouver après le procès de Rennes, où il n’avait point paru, se disant malade ; il avait supporté sans mot dire les imputations de Picquart et de Billot sur ses rapports avec Esterhazy. Weil me pria de renoncer à le citer au procès Henry. Je m’y refusai, et l’ayant traité de « Du Paty de Clam juif », je ne le vis plus.

Son dossier au ministère de la Guerre, qu’on disait terrible, n’était que fâcheux ; il renfermait une note anonyme, nécessairement ignoble, de Guénée, le récit, à peu près exact, des faits qui avaient provoqué son exclusion des champs de courses, les articles de la Libre Parole, une lettre, justement sévère, du général Loizillon, ministre de la Guerre à cette époque, et sa

  1. Voir t. II, 84.
  2. 2 mai 1904.