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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


que la première question du président fut pour lui demander ce qu’il savait « du bordereau sur papier fort dont le bordereau sur papier pelure ne serait que le décalque ». Réponse de Mercier qui en avait, à son ordinaire, pesé tous les mots : « Je n’ai jamais eu connaissance d’une telle pièce officiellement » — en a-t-il eu autrement connaissance ? — « pendant que j’étais ministre ou pendant que j’étais en activité de service. » C’est « quelques semaines avant le conseil de guerre de Rennes » que Stoffel l’a prié de passer chez lui, et que, s’étant rendu chez « l’ancien attaché militaire à Berlin », il a été informé par lui, non pas du bordereau annoté, mais « d’une lettre de l’Empereur d’Allemagne au comte de Munster » où il était question de « cette canaille de D… », expressions qui parurent à Mercier invraisemblables sous la plume d’un souverain. Stoffel racontait qu’il avait vu entre les mains d’un de ses amis la photographie de cette lettre, en récita le texte allemand et la traduisit. Mercier ayant mis en doute l’authenticité de l’extraordinaire document, Stoffel lui dit qu’il en avait entretenu Munster et que l’ambassadeur « n’avait point démenti ». Ainsi Mercier n’a eu de « cette soi-disant lettre de l’Empereur qu’une connaissance très vague » ; jamais, ni au procès de 1894, ni à celui de 1899, « il n’a été question, comme pièce authentique, d’un bordereau quelconque autre que le bordereau sur papier pelure ; c’est une légende ; rien, rien, rien n’a pu y donner lieu[1] ».

Les conseillers n’avaient point d’autre tâche que d’éprouver la solidité des charges contre Dreyfus ; Mercier brisait celle-ci comme une paille, et cela leur suffit. Il ne leur parut point nécessaire de le pousser,

  1. 26 mars 1904.