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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


d’État, remis le bordereau annoté à l’ambassadeur d’Allemagne » et lui aurait engagé sa parole, en échange de la sienne, « de n’en jamais parler[1] ».

La froideur de Casimir-Perier était toute extérieure. « J’ai beaucoup souffert, dit-il, de cette extraordinaire version », et il en donna la raison : « Il peut appartenir à tout homme public de commettre des fautes ; il y en a une que je puis être sûr de n’avoir jamais commise ; je n’ai jamais été ni l’auteur ni le complice d’une humiliation nationale. Il ne s’est rien passé de pareil ; je n’ai jamais été sollicité de remettre une pièce, et je n’en ai jamais remis. »

Il avait pris, pendant sa présidence, des notes quotidiennes. Il donna lecture de celle qu’il avait rédigée[2] sur son entretien du 6 janvier 1895 avec Munster, entretien très calme, très amical de part et d’autre. Non seulement aucun document n’a été réclamé par Munster, mais, bien au contraire, il a protesté qu’aucun document, de nature à impliquer l’Allemagne dans l’affaire Dreyfus, n’avait pu être dérobé à l’ambassade, et c’était tout l’objet de la conversation, c’était la déclaration que le chancelier réclamait du gouvernement français et, personnellement, de Casimir-Perier au nom de l’Empereur. Négociation délicate assurément, à cause de l’équivoque qui la domine : d’une part, Schwarzkoppen n’a point parlé d’Esterhazy à Munster et il ne sait rien du bordereau, qu’il n’a point reçu et dont le texte n’a pas été publié ; d’autre part, Casimir-Perier et les ministres savent où a été pris le bordereau qu’ils attribuent à Dreyfus et cela les rend sceptiques aux autres affirmations des Allemands. Cependant, en

  1. Cour de cassation, 9 mai 1904, Casimir-Perier.
  2. « Sur papier de la Présidence de la République. » — Voir Appendice IV.