Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Targe. Que feront-ils s’ils rencontrent cette preuve matérielle sans réplique ? « Nous étions décidés, raconte Targe, à la faire connaître à tous[1] », comme Cavaignac et Cuignet avaient fait connaître le faux d’Henry. Rien de plus honorable ou, plutôt, de plus naturel que cette résolution, s’ils découvrent la preuve certaine que Dreyfus est un traître, de ne point la dissimuler. Mais quelle incompréhension elle suppose du drame qui a bouleversé la nation et l’armée pendant tant d’années ! quelle méconnaissance des preuves morales, les preuves des preuves !

Quand un homme de la culture intellectuelle d’André, plus averti que l’immense majorité des militaires et des civils, affranchi de tout préjugé ethnique comme de toute passion religieuse, porté au pouvoir par le mouvement qui est sorti de l’Affaire et ayant un intérêt politique certain à l’innocence de Dreyfus, admet encore, à cette date de 1903, qu’il peut être coupable, avec quelle indulgence ne devons-nous pas regarder tant d’opinions qu’on attribue trop aisément à la mauvaise foi et à la haine !

André, une fois résolu à procéder à une enquête personnelle sur l’Affaire, la poursuivit avec une ténacité qui ne lui était pas ordinaire, et, comme il n’avait été mêlé à aucun des épisodes du drame et ne se trouvait ainsi gêné par aucun antécédent[2], avec une parfaite probité scientifique. Il chercha sans aucune idée préconçue, aussi prêt à réclamer qu’à repousser la revision, pourvu qu’il eût la certitude d’être dans la vérité. Mais il lui arriva de raisonner mal et de conclure trop vite. La

  1. Cour de cassation, 10 mars 1904.
  2. Rapport du 19 octobre 1903 au président du Conseil, (Cass., IV, 403.)