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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


table », ou quand il s’était offert, à l’époque des affaires du Panama, comme le justicier inflexible et l’incarnation de la vertu.

Quel que soit l’homme, les foules déchaînées contre un homme seul sont toujours laides. Vraiment, dans celle-ci, il y avait trop de pharisiens.

Brisson avait perdu, il y a quelques mois, sa femme, qu’il avait tendrement aimée, et l’on savait qu’il visitait souvent sa tombe dans le même cimetière de Montmartre où s’élève le monument de Godefroy Cavaignac. Rude y a représenté ce républicain des temps héroïques couché dans son manteau et tenant « entre ses doigts crispés » son épée et sa plume. Brisson l’évoque : « Je me demande si ce bronze ne va pas se dresser devant vous et vous crier : Vous n’êtes plus dans la République, vous n’êtes plus de notre lignée ! »

Cette éloquence, qui datait, ne détonnait pas chez Brisson. Il devenait, lui aussi, un ancêtre ; sa rhétorique, comme sa vertu, sortait du Conciones.

Cavaignac, sous l’excommunication, tint bon. Il dit, et c’était la vérité, bien qu’elle ne l’excusât pas de n’avoir point averti aussitôt Brisson de la découverte de Cuignet, que sa conviction sur le faux avait été faite seulement par les aveux d’Henry, et ceci encore qui était vrai : « que nul autre que lui, par la force de sa résolution et de sa volonté, ne les aurait arrachés » à l’officier coupable. Brisson « a insinué, sans oser le dire », qu’il aurait voulu « écarter ou dissimuler » la découverte de Cuignet. S’il avait voulu le faire, il ne fût pas « sorti volontairement des voies régulières » et, au lieu de procéder lui-même à l’interrogation d’Henry, il l’eût envoyé « à l’une de ces instructions judiciaires » ou « à l’une de ces enquêtes parlementaires », que Brisson connaît, « où l’on a su accumuler tant de garanties