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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


n’est pas moi qui ai parlé ; si quelqu’un a parlé, ce n’est pas moi[1]. »

Voilà sa crainte, et c’est bien la crainte qui doit émouvoir le cerveau, resté hiérarchisé et discipliné, de l’ancien officier. À quelque moment du procès qu’il ait été informé du bordereau annoté, il lui a été recommandé d’en garder strictement le secret ; il l’a gardé, et il ne veut pas être soupçonné de ne pas l’avoir gardé.

Merle et Dumas, rentrés à Montpellier, continuent à se voir tous les jours ; pourtant Dumas attend quelque temps avant de reprendre la conversation. C’est seulement une semaine après[2], à Saint-Georges d’Orques, chez le frère du commandant, qu’a lieu ce dialogue : « Eh bien, que comptez-vous faire ? — À propos de quoi ? — À propos du bordereau annoté, pour établir votre bonne foi. — Écoutez, docteur, vous croyez bien que tout le monde peut être trompé ? — Certes, et je ne doute pas de votre sincérité. — Eh bien, si l’on m’a trompé, je ne demande pas mieux, en cas d’enquête, que de le reconnaître. »

Dumas, jour pour jour, a tenu Mathieu au courant ; ce soir-là, il lui télégraphie d’arriver d’urgence ; Mathieu accourt. Dès qu’il connaît les derniers propos de Merle, il prie Dumas de résumer dans une lettre au commandant leurs entretiens sur le bordereau annoté et de l’adjurer, en conséquence, « pour se laver de tout soupçon de complaisance coupable, de prendre l’initiative de la réparation[3] ».

  1. Lundi 13 octobre 1902. — « J’ai tâché de reproduire jusqu’aux termes précis employés par le commandant Merle. Si j’ai dû, comme pour tout récit de conversation, émonder bien des détails, je n’ai pas écrit un seul mot qui n’ait été prononcé. » (Lettre de Dumas à Jaurès.)
  2. Dimanche 19 octobre.
  3. Dumas, dans sa lettre à Mornard, passe sous silence l’in-