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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sion des gestes, un phonographe qui reproduit les inflexions successives de la voix ; il raconte, c’est-à-dire que, forcément, il interprète. Mais la sincérité, la fidélité (générale) du narrateur sont hors de doute.

Leur première conversation a lieu au cours d’une excursion à Avignon : Dumas demande à Merle s’il a été souvent juge au conseil de guerre, s’il n’a jamais éprouvé de doute après avoir participé à une condamnation. « Jamais ! » répond l’ancien polytechnicien, de la promotion de Cavaignac. Le médecin, l’homme de science et de conscience, se récrie : « Quoi ! pas même dans l’affaire Dreyfus ! » Il serait, à sa place, « rongé de doutes ». Merle : « Non, oh ! non, la certitude était absolue. — Absolue ? une certitude ? vous voulez dire votre conviction. » — Conviction ou certitude, Merle ne distingue pas ; c’est la conviction, s’il plaît à Dumas, qui était absolue. Dumas s’étonne ; il a suivi le procès avec une extrême attention ; il a lu chaque ligne du compte rendu ; il n’aurait pas hésité à acquitter. Merle fait la réponse qu’il doit faire : « Il était impossible à un autre qu’un juge de se faire une opinion. » Surprise, mais surprise feinte de Dumas qui a amené Merle au point : « Pourquoi, puisque tout se passait au grand jour ? — Non, non, pas tout ! — Mais alors enlevez-moi toute angoisse à ce sujet ; c’est une véritable souffrance pour moi que de croire à l’innocence d’un homme deux fois condamné. Citez-moi la déposition qui vous a convaincu… » — Merle vient de lui dire que tout ne se passait point au grand jour, c’est-à-dire soit à l’audience publique, soit au huis clos où assistaient l’accusé et ses avocats ; Dumas, par crainte apparemment de le brusquer, revient aux éléments connus de la cause. « Est-ce la déposition de Mercier ? — Non, non. Mais nous par-