Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
LE BORDEREAU ANNOTÉ


exactement l’étroit terrain juridique d’où la Chambre criminelle ne sortirait pas, étaient formels. Moins juriste et plus aventureux, j’avais parfois des impatiences et conseillais à Mathieu de passer outre ; je finissais toujours par me ranger au sentiment de Mornard[1].

Esterhazy, ou quelqu’un des siens, me tendit un piège. Une inconnue me proposa un rendez-vous matinal au bois de Boulogne ; elle m’y fera voir des lettres d’Esterhazy et de Gonse à Henry qui les avait confiées à son mari. Je lui répondis, au bureau restant qu’elle m’avait indiqué, de me les apporter ou de me les envoyer et la fis suivre, quand elle vint chercher ma réponse. L’agent la vit entrer au n° 43 de la rue du Rocher, dans le même immeuble où Desvernines avait suivi autrefois Esterhazy, le jour où le Matin publia le fac-similé du bordereau[2], mais il ne parvint pas à savoir qui elle était. Peu de jours après, je reçus les lettres, mais seulement en copie ; puis je n’entendis plus parler de rien.

Les lettres d’Esterhazy et de Gonse à Henry étaient bien de leur style. Esterhazy se plaint à Henry qu’étant venu au bureau des Renseignements (24 juin 1894), la porte lui en a été interdite par Lauth : « Ordre formel de Sandherr. » Il veut savoir la raison de cette consigne. Henry la demande à Gonse. Gonse répond que Sandherr

  1. Quesnay de Beaurepaire, commentant le jugement du tribunal de première instance dans mon procès avec Mme Henry, avait écrit dans un article du Gaulois : « Il tombe sous le sens qu’un sous-ordre ne se livre pas à ce travail (le faux Henry) sans en avoir reçu mandat de ses chefs. » Je demandai à André de mettre Boisdeffre et Gonse en demeure d’infliger publiquement un démenti à Quesnay. André s’y refusa : « Il s’agit là, m’écrivit-il, d’un incident se rattachant à l’affaire Dreyfus dont le Gouvernement considère que les débats sont clos depuis la loi d’amnistie. » (4 juillet 1902.)
  2. Voir t. II, 436.