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LE BORDEREAU ANNOTÉ


sévérité ou même avec injustice, l’immunité de l’historien, qu’il a été dans l’intention formelle du législateur d’établir, n’est qu’un leurre, et il n’y a plus d’histoire ni de critique. À supposer toutefois que la prétention de Mme Henry à avoir été personnellement et directement lésée ne soit pas irrecevable en droit, elle le serait encore en fait. Elle ne pourrait être recevable, en effet, que si j’avais commis une « faute » à l’endroit de la plaignante, un « quasi-délit ». Ai-je agi dans un intérêt général, dans l’intérêt de la vérité, ou dans un intérêt particulier ? dans un esprit de méchanceté ou de haine ? Ai-je agi légèrement ? ai-je accusé à tort ou à raison ?

Lailler, ancien secrétaire de Demange, qui s’était chargé de ma cause, présenta des conclusions dans ce sens. C’est me faire grossièrement injure que de m’attribuer l’intention inhumaine d’avoir voulu atteindre la veuve ou le fils d’Henry. Je n’ai point commis cette faute. Ma conviction reste formelle qu’Henry a été le complice d’Esterhazy. J’en ferai la preuve par témoins si le tribunal ordonne l’enquête que je réclame. J’articule en conséquence quinze faits qui me paraissent, selon les termes de la loi, « pertinents et admissibles » : la déclaration d’Esterhazy à Schwarzkoppen qu’il est documenté par un officier du bureau des renseignements et que cet officier, c’est Henry, obscur alors et qu’il n’a aucun intérêt à nommer si, vraiment, ce mince personnage n’est pas son associé[1] ; la confidence de Schwarzkoppen à l’attaché militaire russe qu’Henry et Esterhazy travaillaient de compagnie ; le soin jaloux d’Henry à laisser ignorer ses relations avec Esterhazy ; tous ses actes enfin, tout son rôle pendant l’affaire, le bordereau lacéré, la lettre à Papillaud, ses faux témoi-

  1. Voir t. II, 78.
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