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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


unit dans une même gratitude tous ceux qui ont épousé sa cause et ont combattu pour la justice. Qui serait-il s’il désavouait Demange, son défenseur de la première heure ?

Mais Labori et Picquart s’entêtent. Ou ils sortiront de l’Affaire, ou ce sera Mathieu. Alors même qu’ils auraient cent fois raison contre Mathieu, toute cette scène serait inhumaine. Ni l’un ni l’autre ne paraît s’en douter et, comme le juif demeure irréductible, ils lui parlent avec une dureté croissante. Est-il un coupable dont ils auraient couvert la faute ? est-il un innocent qui a le droit de tenir la tête haute devant tout le monde ? Enfin Dreyfus se retire, sans avoir rien cédé, mais ses nerfs sont à bout et il est saisi, dans le vestibule, d’une douleur si violente qu’il défaille, s’appuie au mur.

Il tenta cependant une suprême démarche, écrivit le soir même à Labori : « Votre concours dans les affaires futures est indispensable ; je vous réitère la demande que je vous ai faite verbalement de rester mon conseil. » Il ajoutait que Mathieu se trouvait dans l’obligation de retourner vers le printemps à Mulhouse : « C’est donc moi, dont vous connaissez les sentiments de reconnaissance et de profonde admiration pour vous, qui m’occuperai dès maintenant de la défense de ma cause. » Labori ne voulut rien entendre, répondit sur une carte qu’« il ne pouvait que s’en tenir à ce qui s’était dit en présence du colonel Picquart ».

Les amis communs, Zola, Trarieux, ne furent, comme moi, avertis qu’après quelques jours et toutes les interventions qu’on essaya furent inutiles.

Ils eussent voulu garder secrètes ces tristesses, mais les confidences s’étendirent ; Rochefort fut informé, annonça la rupture entre les Dreyfus et Labori[1].

  1. Intransigeant du 26 janvier 1901.