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LE BORDEREAU ANNOTÉ


peut se flatter de connaître le fonds de l’ingratitude ». — Pour la phrase qui a provoqué la déclaration de rupture, il la rétablit ainsi : « Aujourd’hui, votre frère pourrait agir encore. Autrement il aura l’air de se conduire comme si tout était sauf quand la peau est sauve[1]. »

Était-ce atténuer ? était-ce maintenir l’injure ? Mathieu, dans la réponse qu’il adresse le lendemain à Labori, rectifie d’abord le récit de l’avocat d’après ses propres souvenirs, mais il n’y insiste point, convient « qu’il a peut-être eu tort de répondre comme il l’a fait » ; « la reconnaissance, la vieille affection qu’il a pour Labori eussent dû lui faire négliger l’amertume, l’injustice, la violence de certaines de ses paroles ». Par malheur, il était à bout de ses nerfs, « tendus depuis si longtemps vers un seul et unique but », et irrité aussi que sa parole fût constamment mise en doute. Aussi bien n’a-t-il engagé que lui-même dans cet incident ; son frère y est étranger et il assure Labori de sa persistante amitié[2].

Mais Labori refusa cette main tendue. Il suivait depuis longtemps son plan qui était de devenir le seul maître de l’Affaire. Dreyfus, pensait-il, ne pouvait se séparer de lui sans compromettre ses chances d’obtenir une deuxième revision, et l’insistance de Mathieu, après tout ce qui s’était passé de pénible entre eux, prouvait bien que c’était son inquiétude comme celle de son frère. La direction exclusive de l’Affaire ne lui donnera

  1. Lettre du 14 décembre 1900, 9 heures du soir. In fine : « J’ai l’honneur, Monsieur, de vous saluer. » — Je ne connus l’incident que fin décembre par Labori. Il me dit de me faire communiquer par Mathieu la lettre qu’il lui avait écrite au sujet de leur rupture.
  2. Lettre du 15 : « Croyez, cher ami, à mes sentiments les plus cordiaux. »