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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Par un renversement inconcevable, qui montre bien que les Jésuites avaient passé par là, ces vilenies étaient réputées « patriotiques », « vraiment françaises ».

Labori s’indignait à raison, criait à tort, se faisait retirer la parole.

Trarieux, sous couleur de s’expliquer sur son rôle dans l’Affaire, la raconta tout entière. Il préparait, depuis plusieurs semaines, sa déposition, moitié plaidoyer, moitié réquisitoire. En l’absence de Scheurer, qui achevait de mourir stoïquement[1], nul n’était mieux qualifié pour évoquer devant le conseil la grande œuvre où il tenait une très belle place et qui entrait déjà dans l’histoire. L’amère et magnifique parole de Goethe : « C’est le sommet, non la montée, qui attire ; le sommet dans les yeux, on se promène volontiers dans la plaine[2] », ne s’appliquait pas à lui ; il avait fait toute la dure ascension, souvent insulté et souffrant de l’être[3], et, comme il n’était pas trop vieux pour recevoir volontiers des idées nouvelles, son esprit, longtemps borné en ses perspectives, s’était singulièrement élargi. Sa déposition fut admirable de clarté, de logique et, sauf un point, d’exactitude. (Il répéta, après Bertu-

  1. Scheurer envoya à Jouaust une lettre où il résumait ses dépositions aux procès d’Esterhazy et de Zola. (Rennes, II, 46.)
  2. Wilhelm Meister, Ire partie, VI, ch. ix.
  3. C’est ainsi qu’il intenta un procès à la comtesse de Martel (Gyp) pour quelques lignes du Journal d’un grincheux : « M. Trarieux est entré en danse. On croit même que c’est lui qui a fait marcher M. Scheurer-Kestner. Tous font partie de ce que Drumont appelle très justement le Syndicat Dreyfus, enrégimenté et dirige par Joseph Reinach. M. Trarieux est protestant (encore un !) mais non pas protestant de naissance. C’est, dit la chronique, un vulgaire renégat. Autrefois catholique, il se convertit en vue d’un mariage avantageux… » Trarieux plaida lui-même son affaire, établit qu’il était resté catholique et que « son mariage, ainsi que cela résultait du contrat, ne lui avait point apporté la fortune ». (Cinq plaidoiries, 279 et suiv.)