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RENNES


hors la loi, je renie la France ; pour me prendre, il faudrait cinq mille hommes et vingt millions ; je ne crains rien. » Chanoine, blême, l’embrassa : « Je prends la brousse et je te suis. Merde pour la France[1] ! » Voulet ayant fait sonner aux sergents, les sous-officiers étaient accourus, écoutaient en silence. Il exposa longuement le plan concerté avec son complice : poursuivre la marche vers l’Est, fonder un royaume indépendant aux environs du Tchad, recommencer Samory. Ceux qui ne se sentiraient pas le courage de les suivre n’avaient qu’à s’en aller.

Les deux lieutenants et le sergent-major Lamy se présentèrent, un peu plus tard, à la tente de Voulet, lui dirent qu’ils ne resteraient pas « dans ces conditions ». Voulet ne chercha pas à les retenir, mais s’ils n’étaient pas rentrés à Say dans un mois, il les attaquerait.

Le médecin (Henric) s’était rendu au village de Nafouta où Meynier avait été transporté, Les contingents nègres, ne furent instruits que le surlendemain des résolutions de Voulet : « Il n’y a plus d’officiers ; Chanoine et moi, nous sommes sultans. Ceux qui n’obéiront pas seront fusillés ; ceux qui resteront avec nous seront riches pour toujours. »

Ces noirs du Soudan aiment les aventures, la chasse, la guerre, le meurtre, les femmes, iraient au bout du monde en se battant, mais à condition qu’ils soient assurés de rentrer un jour chez eux, au village natal, à la rivière et aux palmiers de leur enfance.

Dès qu’ils surent la décision des « Sultans » de faire un établissement définitif quelque part d’où l’on ne retournerait pas, la leur fut prise : partir. Pendant que Chanoine et Voulet font la sieste, ils quittent le village,

  1. Rapport Joalland. Dans le texte lu à la Chambre par Decrais, ces mots sont supprimés.