du procès, le jeune savant d’un côté, très maître de lui, impitoyable, la voix énergique et vengeresse, et de l’autre, ces deux généraux déconcertés, balbutiant, pâles de colère ou de honte. — Cependant les soldats ne voyaient toujours dans ces vilenies que des incidents de guerre, d’une guerre dont l’armée était l’enjeu. Toujours la même peur, le même prétexte : donner tort aux chefs, c’est détruire l’armée !
C’était l’une des fatalités les plus douloureuses de l’Affaire que l’innocence de l’accusé fût devenue inséparable de l’infamie des accusateurs, l’erreur judiciaire ayant, depuis si longtemps, mué en crime. Et les accusateurs portaient le même uniforme, appartenaient à la même caste que les juges, continuaient à s’identifier avec l’armée ! Dans ces conditions, comment ces juges, même délivrés de la hantise du bordereau annoté, regarderaient-ils les choses d’un œil nu ? La couleur n’est pas dans l’objet, mais en eux ; leur vision est ce que la fait la teinte de leurs lunettes ; leur optique n’est pas matérielle, comme elle devrait l’être, mais morale[1]. Le plus éclairé d’entre eux, Jouaust, qui veut sauver Dreyfus, veut aussi sauver Mercier.
Conciliation impossible ? Il y a neuf chances sur dix
- ↑ « Voici enfin que nous apprenons l’optique morale… etc. » Taine, Littérature anglaise, V, 305.)
591, 592. — D’après la note de Gonse (pièce secrète n° 96), Painlevé lui aurait ainsi rapporté « textuellement » sa conversation avec Hadamard : « Je n’ai pas voulu vous dire que je croyais Dreyfus innocent… etc. » Painlevé s’indigna : « Cette phrase est fabriquée. Elle est monstrueuse ! C’est le contraire même de la vérité ! » Gonse allègue que sa note, mise au dossier secret, était « un simple renseignement pour le ministre ». Painlevé lui inflige un nouveau démenti, puis fonce sur Roget, pour sa déposition devant la Cour de cassation où il a fait de Jacques Hadamard le beau-père de Dreyfus. Roget balbutie : « C’est un M. Hadamard, un autre alors ! »